CB Amp – MKI (1996-1999)

Bon voilà, j'avais fabriqué ma guitare. Dans nos concerts, il y avait toujours quelqu'un pour venir me voir et demander « c'est quoi ta gratte ? C'est pas une Fender ? ». Ben non, c'est moi qui l'ai faite ! J'avais adoré ces longs moments de recherche, acquérir un savoir faire, des connaissances et une maîtrise, me confronter à un vrai challenge, dépasser par moi même des limites tacites de ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire. J'avais pris goût à ça, et maintenant ? La marche au dessus ? Non allez... un ampli pour aller avec ? A lampes tant qu'à faire... Waoh, capable ? Allez. En décidant ça, j'avais l'impression de franchir un cap, de m'éloigner d'un certain déterminisme social. Fabriquer une guitare ça restait un travail du bois, mon père, mon grand père avaient fabriqué des choses en bois. Mais l'électronique, ça n'était pas dans nos gênes, je m'éloignais d'eux. Et comme la guitare, l'ampli devrait être excellent... Tant qu'à faire.

 

Alors j'ai repris mes recherches, passionnément. Les magasins de musique pour me faire l'oreille en essayant différents amplis. Des Fender, des Mesa Boogie partout en ce milieu des 90s', avec une débauche de canaux et de boutons, des Marshall JCM900 à la distorsion type « essaim d'abeilles » et au son clair qui vous filait des hémorroïdes - pourri Marshall - un vieil AC30 d'occasion pour lequel je n'avais pas la maturité à en entendre la qualité. Non, j'étais fasciné par les vieux Fender. Et puis quelques rares réparateurs pour essayer de comprendre cette fameuse « magie des lampes », avec encore les mêmes avertissements : « fabriquer un ampli ?! Oulah...! ». T'inquiètes, on me l'a déjà faite.

J'ai acheté le Tube Amp Book d'Aspen Pittman, la bible de l'époque. Il y avait alors très peu de documentation, il fallait se débrouiller par soi même. Mais j'allais prendre mon temps, comme pour la guitare. J'ai étudié tous les schémas Fender, en me perdant dans les références. Il y a donc tant de modèles de Twin ? 5C8, 5F8A, 6G8, AB753, AA270, c'est lequel le bon ? Je découvrais laborieusement les époques Fender, il ne suffisait pas de taper « Fender amp history » dans un moteur de recherche. Je faisais des études de physique, et j'espérais qu'on allait un jour aborder la question de l'amplification, mais rien. Ou alors superficiellement, des transistors sous toutes leurs coutures, quelques filtres par ci, un amplificateur opérationnel par là. On bossait dessus, courbes de Bode et fonctions de transfert, on était censé étudier et connaître leur fonctionnement, pourtant il me semblait bien que ça ne correspondait pas du tout à ce que j'aurais à mettre en œuvre dans un ampli, que ce soit à lampes ou à transistors.

 

Je me sentais bien démuni et je suis donc allé voir mes profs d'électronique et d'électricité. Des profs d'université, des chercheurs, capés et reconnus. J'y allais timidement, pensant que j'allais demander quelque chose de ridiculement évident et pire, que j'aurais dû connaître. Je fus bien surpris par les réactions. En vrac, après l'accueil solennel et distant qui accompagne le titre universitaire, j'ai eu droit à : « Ah oui, mais c'est de la basse fréquence ça... Pffff.... » ; « Non non, ça ne se fait plus ça » ; « Ouh là là, l'audio... ! » ; « Les lampes mon pauvre, vous n'en trouverez plus ». Ok... et je fais quoi moi ? Seul un prof d'optique, Bernard Colombeau, m'a accordé de l'attention. J'aimais son humanité et son intelligence et j'avais tenté ma chance, en dernier recours. Lorsque je lui ai dit que je voulais fabriquer un ampli à lampes, j'ai vu une lumière dans ses yeux. « Ah oui !... je me souviens que j'ai fait ça avec des copains quand j'étais jeune. Et vous allez utiliser des EL84, des ECC83 ? ». Ouf, merci. Il ne se rappelait plus du tout de leur mise en œuvre, mais il m'avait encouragé et aidé en me prêtant un oscilloscope et un GBF. Alors c'était parti. Et comme pour la guitare, hors de question de commencer avec un petit ampli à 3 lampes, je voulais un ampli 2 canaux, avec reverb, et des contrôles sur chaque canal. Tant qu'à faire. Pour la puissance 40W seraient suffisants, j'avais un Twin 100W et je ne voulais pas renouveler l'expérience des ingés son qui, alors que vous étiez à un et demi sur l'ampli, vous disaient « Euh pour la guitare ok, mais c'est trop fort là... ».

J'avais eu l'occasion de jouer sur un Boogie Mark I (ou II, je ne me souviens plus), et j'avais été étonné par le son monstrueux de ce petit ampli. Rien à voir avec les Mesa Boogie que l'on voyait dans les magasins de musique à l'époque. On trouvait des Caliber, Dual Caliber et c'était la grande époque du Mark IV. Des boutons partout, et j'ai du mal à ajouter « du son nulle part » car le Mark IV avait quelques menues qualités, mais je ne retrouvais absolument pas la dynamique que pouvaient avoir les premiers Boogie. Tout était compressé, le son serré, et je ne comprenais pas pourquoi tout le monde vantait cette marque. Pour moi il manquait quelque chose, ok c'était rigolo pour se la jouer californien et faire impression auprès des guitaristes peu fortunés, mais soyons sérieux, ça ne sonnait pas pour le prix auquel ils étaient vendus. Depuis j'ai eu à en réparer certains, et pour les Caliber notamment, c'est une honte de conception. Mais le pire, c'est que comparativement à la grande production actuelle, ils sonnent plutôt mieux... Affreux.

 

Bref, j'allais me baser sur le design des Mark I et II, qui en plus découlaient des amplis Fender que j'affectionnais tant. D'autre part, j'avais beaucoup aimé le look classieux de l'ampli bois. Pour l'ébénisterie, mon grand père avait coupé un noyer magnifique il y a bien longtemps et des planches séchaient depuis plus de trente ans au dessus de l'étable. Ce serait quand même plus joli que le sapelli ou l'imbuya. Assemblage mortaisé collé en queues d'aronde, eh !

J'ai recopié, dessiné et redessiné pendant des heures les schémas Boogie du Tube Amp Book, en essayant de comprendre comment tout ceci pouvait à la fin, faire du son. Je me renseignais auprès des anciens réparateurs d'électronique, alors à la retraite. Chez eux l'accueil était tout autre : « Ah oui, c'est pas bien compliqué. Vous mettez une ECC83, puis une EL84 en puissance et ça marche ! Un bouton de volume aussi, oui c'est pratique ». Beaucoup plus chaleureux certes, mais quand je leur montrais mes schémas de Boogie, ils bottaient clairement en touche. Il fallait donc que je me débrouille, et tous qui me disaient : « Ah mais attention hein, la haute tension c'est des coups à y laisser un bras. Tiens, le beau frère de la Jeanine qui réparait les radios, il a chopé le jus et son bras droit, y peut plus s'en servir ! » Bon.

Comme pour la guitare j'ai avancé lentement. Pour moi du bon matériel électronique, c'était une facture moderne de qualité, avec des composants de pointe. Il me fallait donc fabriquer un circuit imprimé qui accueillerait l'électronique, j'avais déjà fait ça au collège pour de petits montages, je trouvais ça rigolo. Mais lorsque j'entrais dans les magasins d'électronique pour acheter des composants du haut de ma vingtaine d'années, on me regardait toujours de haut, me prenant clairement pour un jeune con, complètement incompétent. Au milieu des 90s, l’électronique à lampes était morte pour le grand public et on passait pour un hurluberlu lorsqu'on demandait des condensateurs 400 ou 600V. C'est insupportable comment dans ces milieux technologiques, et masculins s'il en est, on vous toise dès que vous leur rappelez qu'autre chose est possible. Lorsque je revois les mêmes vendeurs aujourd'hui, je m'aperçois combien beaucoup ne sont que des guignols prétentieux, plus capables de vendre la dernière sono Monacor que d'avoir une quelconque finesse d'écoute. La technologie c’est comme la culture et la confiture...

C'est mon père qui a fabriqué le châssis métallique, une perruque de la Manu***. J'avais bien préparé mes plans, j'ai monté l'ensemble dans une immense fébrilité. Je me souviens des odeurs des composants, de la soudure d'étain. Comme les premières marques d'une inscription personnelle dans quelque chose de sérieux, et hors de mon commun. Avec un circuit imprimé, pas le droit à l'erreur. J'avais refait et refait mon circuit, ça devait marcher, théoriquement. Lorsque j’eus fini de tout assembler, j'ai bien du attendre un jour ou deux avant d'oser mettre sous tension. J'ai toujours fait ça, un mélange d'angoisse d'avoir fait une erreur, et puis aussi pour laisser reposer. Le matériel et la tête. Et je me souviens que la première fois que j'ai mis le standby sur ON, après les classiques vérifications des diverses tensions, je n'ai pas bien compris ce qui se passait. Ca ne marchait pas, le son était tout petit. Même expérience que pour ma guitare, et grosse déception. Alors j'ai revérifié pour la énième fois le circuit, les tensions, les connexions. Puis j'ai remis en marche, et j'avais du son, j'avais bien du son, et c'était même un très beau son clair qui me surprenait complètement ! En fait, je n'avais rien modifié et je crois que lors du premier essai, j'étais simplement trop stressé pour entendre quoi que ce soit. Ce son clair avait de belles harmoniques et une dynamique magnifique, ce que je cherchais justement. La reverb fonctionnait impeccablement, longue et profonde comme les reverbs Fender. Mais il y avait un gros point noir : je n'avais aucune saturation sur le canal distorsion.

 

J'ai traîné cela pendant des mois. J'ai mesuré, remesuré, j'ai tourné et retourné le problème dans ma tête, rien n'était logique, ça aurait dû saturer. Je me suis même décidé à amener mon ampli à un réparateur en vue sur Toulouse. Je me sentais très honteux d'en arriver là, car j'avais plusieurs fois rendu visite à son magasin et j'avais bien senti là encore ce rapport de confrontation qui semble animer les électroniciens, les guitaristes, les cerfs à l'automne ou le mâle moyen au salon de l'auto. Et avoir à lui demander de l'aide m'était vraiment pénible. D'autant que lui même parlait de lancer une ligne d'amplis (ce qu'il fera avec plus ou moins de succès), et se décrivait comme grand connaisseur et concepteur. Et bien lui non plus n'a rien compris ! Mais je me souviens qu'il m'a demandé 300 francs pour avoir coupé à la pince différents composants et posé un diagnostic que j'avais fait moi même. J'étais vexé comme un pou mais je n'ai pas osé protester. Je comprends aujourd'hui que ce gars n'avait pas la compétence à laquelle il prétendait, et qu'alors on pouvait facilement bosser dans les amplis guitare avec un peu d’esbroufe. Je me dis que j'ai payé pour comprendre que j'en connaissais alors au moins autant que lui.

En 1999 cette première version demeurait inachevée. Il ne m'en reste que des souvenirs et quelques photos. Cette histoire de canal saturé est toujours un mystère, mais après tant d'efforts je ne voulais pas rester sur un demi échec. Pendant ces années de recherche sur les amplis à lampes, j'avais beaucoup appris et d'autres horizons se profilaient : le circuit point à point, et un certain monsieur Dumble...

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