CB Amp MKII – The Duke (1999-2003)

Dumble Overdrive Special Fender Jensen SRV vintage

Puissance : 40W

Haut parleur : Jensen Concert EM-1220 (1965)

Tubes NOS : Puissance : 2 x 6L6GC Tung Sol
                          Redresseuse : GZ34 Philips-Mullard
                          Préampli : 4 x 12AX7 Sylvania, 2 x 12AT7 TFK

Canal clair : volume – bass – middle – treble – présence – reverb

Canal overdrive : drive – volume – présence – reverb

• Boost réglable en volume (gain) et master

• Boucle d'effet active à lampes (Dumbleator), contrôles send-return

Footswitch : Clean/OD – Boost – FX loop

Ebénisterie : noyer corrézien (séchage > 30 ans)

Boutons : buis corrézien faits main

Poignée cuir véritable, faite main

Incrustations et logos : laiton, nacre naturelle d'ormeaux (océan atlantique)

La première mouture de ce que je pensais être l'alter ego de ma guitare n'était donc pas une totale réussite, et je laissais l'ampli dans un coin. D'autant que je me posais des questions sur la technologie que j'avais employée. Dans l'idée d'une certaine « perfection » et du défi technique, j'avais voulu faire au plus moderne, circuit imprimé et composants de technologie récente. Pas simple à mettre en œuvre en partant de rien. Mais je voulais rivaliser avec les grosses boîtes, montrer que seul, je pouvais faire le boulot de tous les services de marques comme Mesa Boogie ou Rivera qui étaient présentées comme « haut de gamme » (j'allais comprendre cette mystification par la suite). Bref j'avais agi en bon scientifique, le progrès est censé nous amener le meilleur, non ?

Cependant, j'avais par ailleurs commencé à réparer quelques amplis, des Fender quasi exclusivement. Vieux Deluxes, Twins ou Super Reverbs des 60s et 70s. Et ces amplis qui sonnaient superbement étaient tous fabriqués en point à point. De plus ils étaient de conception très basique et beaucoup plus faciles à bidouiller. Je dois dire qu'à l'époque, ça créait encore quelques courts-circuits dans mon esprit de prof de physique...

 

L'autre révolution fut l'arrivée d'internet. Dès 96-97, la fac nous permettait d'accéder au réseau et ce fut une révélation. J'ai usé et abusé de ce nouvel outil (j'en parle ici). Ah les débuts d'AltaVista, avec des recherches qui donnaient des résultats pertinents dès la première page ! A l'époque le WEB était encore relativement technique et n'était pas pourri de superficialité imbécile. Mais j'arrête, le vieux con me guette.

Toujours est-il qu'il fut facile de rentrer en contact avec des personnes outre atlantique pour qui ma démarche semblait tout à fait normale. Construire son ampli à lampes ? Oui bien sûr pas de problème. Ô joie ! Il semblait donc qu'aux Etats Unis et au Canada c'était monnaie courante. Je trouvais enfin des personnes ouvertes et sympathiques, à l'opposé de tous ces franchouillards racornis qui me disaient « Naan, c'est pas possiiible ! Ca march'ra paâas ! ». Assholes.

Et le principe d'internet à l'époque, c'était le partage. Le partage de fichiers dans notre cas, car les schémas n'étaient pas faciles à trouver. J'ai ça et ça, t'as besoin de quoi ? Et j’eus la chance d’échanger des circuits d'amplis qui brillaient par leur renommée autant que par leur rareté : les Dumble.

J'avais fait beaucoup de recherches sur ces amplis. A l'époque j'écoutais et je travaillais la musique de Stevie Ray Vaughan. Avec le recul, il a certainement été le principal vecteur de mon travail sur l'amplification. D'abord la TS9, facile à se procurer. Ensuite les vieux amplis Fender, j'avais eu la chance de trouver un Super Reverb de 66. Puis forcément le Dumble, Stevie Ray jouait sur un Steel String Singer fabriqué spécialement pour lui. Alexander Dumble était un des fabricants les plus mythiques. Il avait travaillé pour Vaughan mais aussi Robben Ford, Clapton, Steve Lukather, Larry Carlton. Il était aussi l'un des plus secrets et passait pour être une sorte de gourou bourru. Il avait d'ailleurs arrêté la fabrication et ses amplis étaient devenus aussi rares que chers. Et il semblait régner autour d'eux une aura de mystère et de magie. Et ça, ça me plaisait.

J'avais trouvé un nouveau challenge, et quel challenge ici en France : fabriquer ma version de l'ampli le plus rare et au plus gros son de tous les temps ! C'est du moins comme cela que les Dumble étaient décrits. Adieu magasins d'électronique suffisants, réparateurs tripotant de la lampe, je me tournais totalement vers le continent nord américain.

 

Dumble avait utilisé différentes lampes de puissance, EL34 pour la plupart, mais aussi 6L6, et des 6550 dans le SSS. De mon côté j'étais attaché à mes 6L6GC, c'était évidemment une des caractéristiques du son Fender, et Dumble venait de là lui aussi. J'avais d'ailleurs trouvé de magnifiques paires de Tung Sol et GE originales (NOS). L'étage de puissance serait donc Fenderien, avec quelques ajustements.

Pour le préamp, le circuit Dumble m'intéressait fortement car il présentait un nouveau design par rapport aux circuits Fender. Un réglage de medium très différent, et ces 3 petits switches qui permettaient bien plus que le traditionnel bright. Et surtout Dumble proposait un circuit de distorsion simple, et qui aux dires de tous, sonnait magnifiquement bien.

Mais sur les amplis 2 canaux, j'avais souvent rencontré des problèmes de niveaux liés aux contrôles offerts. L'équalisation du canal clair ne convenait pas toujours au canal saturé, et surtout la reverb était souvent trop importante sur le canal saturé. J'ai donc doublé les contrôles de reverb. Le circuit de distorsion Dumble était réputé très fidèle et ne nécessitait pas une EQ séparée, mais je doublais tout de même les contrôles de présence. De cette manière on pourrait ajuster le caractère de chaque canal.

Enfin, je réalisais quelque chose que je ne trouvais sur aucun ampli : un boost réglable en gain et en volume. On peut ainsi avoir soit le même gain et un volume supérieur sur le boost, soit un plus fort gain (crunch) et le même volume, soit les deux : plus de gain et plus de volume ! Ce boost est bien sûr efficace sur les deux canaux et assignable au pied. C'est pour moi le boost ultime, il garde naturel, présence et dynamique, et de plus il ouvre de nouveaux horizons d'expressivité.Pour les lampes, j'avais récupéré des stocks de lampes NOS car sur le marché du neuf, on ne trouvait alors que des Sovtek. Je n'ai jamais aimé ces lampes, et je ne comprends toujours pas comment certains peuvent leur accorder du crédit. Certes tous les goûts sont dans la nature, mais personnellement, les sons étroits, froids et raides ne sont pas dans ma palette de goûts.

Restait un problème : le haut parleur. Se fournir en pièces détachées spécifiques et de qualité relevait du parcours du combattant, car il y avait peu de modèles disponibles. Sica commençait juste à fabriquer les Jensen reissue, et on ne trouvait que des HPs Eminence froids et sans vie, ou des Celestion très standard. Avec le plus grand dépit, je me trouvais obligé d'acheter un Vintage 30 car c'est le seul HP vaguement correct que je trouvais alors. Le Vintage 30 n'a jamais rien eu de vintage, c'est un HP qui se révèle dans les grosses saturations métal, mais pour tout ce qui est son clair et distorsions moyennes, il sonne carton et creux. Depuis, nombre de fabricants ont multiplié leurs modèles et on trouve désormais de tout, du très mauvais au très bon. Je pense notamment aux Weber, Scumback, et autres fabricants qui ont soigné leur production.

Mais après de nombreux essais et échanges, j'ai finalement monté un Jensen Concert EM-1220 de 1965, ce HP vintage étant très largement au dessus de tout ce que j'avais pu entendre. Dynamique, spectre harmonique, un son clair magnifique et des saturations complexes : de très loin le meilleur HP pour un ampli dans l'esprit américain.

Je reprenais bien sûr l’ébénisterie de mon premier ampli. Je voulais toujours soigner l'esthétique tout en restant dans une sobriété classieuse. Un entourage de laiton, des incrustations de nacre d’ormeaux (si j'avais su qu'il existait des plaques de nacre toutes prêtes !), et une poignée en cuir faite main. Les poignées que l'on trouvait dans le commerce étaient trop moches.

Et enfin, je me fendais de fabriquer des boutons de potentiomètre en buis, tournés puis sculptés à la main. La première version de l'ampli ne comportait que 12 contrôles, cette fois il en avait 15 au total, plus les 3 switches. J'ai donc été obligé de tasser un peu les boutons de façade. Les contrôles de la boucle d'effets sont à l'arrière. C'est mon seul regret, la façade aurait été allégée avec 2 ou 3 centimètres de plus, mais tout était déjà fabriqué. Je me suis promis de refaire cet ampli en version tête, avec un châssis plus large pour aérer les contrôles. Un jour peut-être...

Et un ampli, ça a un nom et une marque. Depuis quelque temps, je tournais et retournais dans ma tête des noms potentiels. Pourquoi pas créer une marque ? C'est le dessin du logo qui m'a fait choisir le nom. J'avais accolé mes initiales et j'y ajoutais « Amp », comme sur les bons amplis Fender, en humble hommage l'histoire de Fender et de Léo. Twin Reverb Amp, Deluxe Amp, Vibrolux Amp, c'est lorsque CBS a commencé à enlever le « Amp » des logos que la qualité des Fender a commencé à vraiment chuter. Le Amp serait donc un gage de qualité ! Et The Duke plus pour le riff de Stevie Wonder que pour Ellington, et parce que l'ampli pouvait avoir un petit côté aristocratique.

Et le son ? Ca déchire ! Le son clair est plein, épais dans le bas médium. Il est hyper dynamique mais plus rond qu'un son clair Fender traditionnel. La saturation est en effet très naturelle, très dynamique et elle présente une très grande palette de gain en développant des harmoniques larges et épaisses. Impressionnant, vraiment.

Issoudun 2004 :

 

En octobre 2004, et grâce aux luthiers Ivan et Jan Degtiarev, j'ai eu la chance de participer au Salon de la Lutherie d'Issoudun. Il est toujours risqué de dire « j'étais le premier », et il conviendrait de demander aux organisateurs, mais je crois que j'ai vraiment été le premier à y présenter un ampli entièrement fait main, en tout cas d'une telle facture. Et c'était un peu ce que je souhaitais, j'avais rencontré tellement de gens qui parlaient, qui se vantaient de ci ou de ça, que je voulais de mon côté montrer où j'en étais. Une manière de dire « ok, voilà jusqu'où je peux aller, circuit et finition ». A ma connaissance, un ampli multi canaux de ce niveau entièrement fait main en point à point, personne ne faisait ça en France (voire plus). Et il me semblait que j'avais ma place parmi des luthiers.

 

Mais certains ne devaient pas être de cet avis car je me souviens qu'à plusieurs reprises, l'ampli s'est brusquement coupé pendant qu'on l'essayait. Ca fait mauvais effet dans un salon, on a l'impression que l'ampli vient de griller. Mais c'était en fait des grincheux qui avaient rampé sous les tables pour débrancher la prise secteur. Je reconnais qu'il est désagréable d'essayer une belle guitare acoustique à côté d'un ampli qui crie sa distorsion. Mais nous étions très respectueux, et au vu de la foire d'empoigne auditive qui se crée de toute manière dans le grand hall du centre des congrès d'Issoudun, je ne vois pas comment on peut décemment essayer une guitare. Alors un peu plus un peu moins... On se demande si ces coupures intempestives ne seraient pas plutôt dues au conflit acoustique/électrique, toujours 40 ans de retard... Aujourd'hui il y a plein de fabricants d'amplis à lampes à Issoudun. On les a mis dans une salle à part.

 

Un article qui immortalise l’événement a été écrit sur laguitare.com, il est ici. L'ampli y présente encore l'affreux Vintage 30.

Une autre anecdote, je me souviens d'un luthier reconverti dans le bizness qui parcourait les allées avec un air d’empereur romain. C'était vraiment amusant, marchait devant lui un jeune apprenti qui écartait une foule indifférente, alors que derrière, trois jeunes padawans semblait porter sa traîne en gloussant moult commentaires acides sur les stands qu'ils croisaient. En passant devant l'ampli, Carolus Magnus Guitaricus s'arrête, et toisant la foule, demande noblement : « Qui c'est qui fait ça ?! ». Je m'avance avec un petit sourire en lui indiquant que c'est moi. « Ah. Et à combien tu l'sors ça ? ». Je lui réponds que ce n'est pas le problème premier, et qu'on se connaît sans se connaître. En fait quelques mois auparavant, j'avais reçu à ma grande surprise deux coups de téléphone. Notre César (ou était-ce Marius) m'avait appelé par deux fois car il voulait développer une gamme d'amplis à lampes, et il avait entendu parler de moi. J'avais été flatté car je me souvenais de l'époque où je travaillais la guitare classique et où il était venu au conservatoire nous présenter ses instruments. Ils étaient de très belle facture et de grande qualité. Mais le discours avait bien changé, il fallait réduire les coûts, mettre dans les amplis des composants peu chers (ça ferait bien la même chose), ceci pour pour pouvoir en vendre plus. Il me précisait qu'il tentait de mettre au point un petit ampli 12W avec juste un volume et une tonalité, mais que ça ne fonctionnait pas bien. J'essayais bien de lui donner quelques conseils sur les amplis, mais j'eus le plus grand mal à lui faire entendre que cette manière de travailler ne m’intéressait pas.

Et à Issoudun, j'avais en effet aperçu le prototype en question sur son stand. Alors forcément, face à face avec mon ampli multi-tout et qui sonnait à merveille, Julo semblait un peu vexé. Je lui expliquais le fonctionnement et le lui faisais écouter, après quoi il déclarait : « Ouais mais c'est pas possible ça. J'peux pas faire ça moi, j'ai une boîte à faire tourner ! ». Euh, ok... Et il repartit fièrement, entouré de ses padawans qui n'avaient rien compris à la scène. Ces rapports humains, entre compétition, intimidation et manipulation, sont juste insupportables pour moi. Just play some music.

Scroll to top